Pont de Carouge

Genève…enfin !

Au début de l’année 1687 les premières brigades des exilés, autorisés à quitter les prisons piémontaises sous escorte militaire grâce aux interventions des puissances européennes acquises à la Réforme et notamment celles des cantons suisses, approchent de Genève. Tous sont épuisés, affamés, transis par le froid vu leur manque de vêtements et parfois de chaussures; beaucoup sont blessés et ont perdu un proche mort en chemin.  

Les malheureux savent qu’ils sont attendus par la population, qui compte d’autres exilés huguenots et vaudois, comme le pasteur Henri Arnaud (1643-1721) et le résistant Giosue Gianavello. Celui-ci âgé de 70 ans et malade, va même à leur rencontre jusqu’au Pont d’Arve (actuel Pont de Carouge). En ville ils sont accueillis avec générosité et compassion, les malades sont transportés à l’hôpital de Plainpalais, les autres hébergés souvent chez l’habitant où ils trouvent réconfort et subsistance avant d’aller d’un canton réformé à l’autre en quête d’un asile, ou alors de poursuivre en direction du nord.

Peu d’entre eux resteront à Genève et dans les cantons protestants. Contrairement aux réfugiés huguenots qui sont souvent artisans ou marchands et peuvent assez facilement trouver du travail en gardant leur statut professionnel, il n’en est pas de même pour eux qui ont tous été petits propriétaires indépendants et se voient mal devenir garçons de ferme ou manœuvres. A cette difficulté d’intégration, vient s’ajouter l’obsédante nostalgie de leurs vallées.

En 1688, à la faveur de l’accession sur le trône d’Angleterre de Guillaume d’Orange qui déclenche une grande coalition contre Louis XIV, l’espoir de pouvoir vivre librement sa foi renaît en Europe.  Pour les vaudois la nostalgie du retour dans leurs vallées deviendra espérance puis réalité.

Un an plus tard, après plusieurs tentatives infructueuses, on prépare un nouveau départ. L’expédition est organisée avec soin notamment par Henri Arnaud, le pasteur/colonel fort de ses contacts avec les puissances protestantes européennes et Giosue Janavello, ancien résistant/chef de guérilla (voir Neydens) qui n’a rien perdu de ses compétences de stratège. Celles-ci se révèleront déterminantes tout au long de l’épopée de la Glorieuse Rentrée.

N.B. L’histoire de celle-ci n’est pas développée dans la présente notice puisqu’elle a comme point de départ les rives de Promenthoux (Prangins VD) qui se trouvent au-delà du territoire genevois longeant le lac Léman.

Développement historique

Trois appellations successives pour un pont

Au cours des siècles qui précèdent l’arrivée des Vaudois sur les bords de l’Arve, le pont enjambant la rivière, dit Pont d’Arve, est souvent emporté par les flots tumultueux, et remplacé par des bacs ou reconstruit en bois, parfois plus en amont mais le plus souvent en aval, tout près de l’actuel Pont des Acacias en direction des terres assainies par les réfugiés huguenots qui arrivaient à Genève (voir Plainpalais et Jonction).

En 1809, Napoléon, 1er consul depuis 1799, entreprend la construction d’un
pont sur l’Arve pour relier Genève à Carouge, afin d’améliorer la circulation
des Alpes. La construction du Pont Neuf s’achève en 1817 et relie la rue Ancienne, axe principal de Carouge, à la porte de Neuve de Genève, concrétisant ainsi le rattachement de deux anciennes cités rivales appelées à collaborer. (voir Place de Neuve)

Une première équipe d’architectes et d’ingénieurs a oeuvré sous la direction du français Nicolas Céard (1745-1821), avant que Guillaume Henri Dufour (1787-1875), futur ingénieur cantonal qui, à cette époque, dit-on, cherche du travail à Genève, soit mandaté pour terminer l’ouvrage. Notons que Dufour reprend les plans de ses prédécesseurs en ajoutant toutefois des trottoirs, alors peu connus à l’époque, de chaque côté de la chaussée.

Rebaptisé une nouvelle fois en 1981, l’ancien Pont d’Arve devient alors le Pont de Carouge pour le grand bonheur de ses habitants et un an plus tard, l’ingénieur Dufour accède à la première présidence du Comité international de la Croix-Rouge (voir CICR).

N.B. Par cohérence avec notre projet, nous invitons les marcheurs à poursuivre leur chemin en aval de l’Arve en restant sur la rive gauche, puis à traverser la rivière en empruntant l’élégant Pont Wilsdorf reconnaissable à sa structure dite « nid d’oiseau » afin de rejoindre l’itinéraire des Huguenots et arriver en ville de Genève.

De retour au pays

Arrivés dans leurs vallées au terme de leur Glorieuse Rentrée de 1689, les Vaudois célèbrent leur premier culte et promettent de rester unis et si nécessaire de continuer la lutte avec le pasteur/colonel Henri Arnaud qui a participé à l’expédition.

Une fois encore sous la pression anglaise, un édit de tolérance leur est accordé pour un temps, avant qu’à nouveau beaucoup d’entre eux se voient contraints de s’enfuir, et aller s’établir en Hesse et dans le Wurtemberg (Allemagne).

Ce n’est qu’en 1848 que les Vaudois retrouvent leurs droits civiques et politiques, toutefois ils devront lutter encore pendant un siècle pour que leur Eglise soit pleinement reconnue en Italie et que des temples puissent être construits ailleurs que dans les vallées. Les pasteurs sont alors formés à la Faculté de théologie de Torre Pellice.

En raison de la grande misère dont souffrent les vallées dans la seconde moitié du XIXe siècle, beaucoup de familles émigrent en Uruguay et en Argentine et y créent des communautés de langue espagnole.

Aujourd’hui, 25 000 italiens sont membres des Églises vaudoises et méthodistes, unifiées en 1975. Environ 10 000 fidèles résident dans les vallées où ils représentent la moitié de la population.

Avec les Églises vaudoises d’Amérique latine, les Églises vaudoises d’Italie sont présentes dans les organisations œcuméniques internationales : Conseil œcuménique des Eglises, (voir Conseil œcuménique des Églises) Communion mondiale d’Eglises réformées et Communauté évangélique d’action apostolique.

Dès 1848 les « universités des chèvres » se multiplient dans les vallées vaudoises

Au milieu du XIXe siècle, John Charles Beckwith (1789-1862), contraint d’interrompre sa carrière militaire suite à l’amputation d’une jambe, visite les vallées vaudoises, à l’instar de nombreux voyageurs anglais. Il s’y installe bientôt, épouse alors une jeune vaudoise, Anne Volle, et y demeure jusqu’à la fin de sa vie.

Il consacre sa fortune à la scolarisation des enfants de la région en créant de très nombreuses écoles Beckwith qu’il baptise avec humour universités des chèvres en référence à tous les gosses qu’il voit gambader dans les villages. Contrairement aux multiples illettrés des alentours, les enfants y apprennent à lire, écrire, compter, comprendre la Bible, tout comme d’autres enfants ailleurs, par exemple à Genève, grâce à l’impulsion donnée par les idées de la Réforme (voir Cartigny et Place du Molard).

Avec la collaboration d’un de ses compatriotes et amis, le Révérend Stephen William Gilly (1789-1855), il travaille bientôt à la création d’un collège avec enseignement du grec et du latin pour les enfants qui ont envie de poursuivre leur formation (1831), ouvrant ainsi aux jeunes vaudois les portes d’une vraie Université et notamment d’une Faculté de théologie à Torre Pellice en 1855. Bien que celle-ci ait été transférée plus tard à Rome, suivront alors dans le village bibliothèque, maison des étudiants ou encore centre culturel, réalisations qui par leur rayonnement contribueront non seulement à pérenniser le nom du riche marchand lyonnais à l’origine de celui des Vaudois (voir Neydens) mais aussi à rendre célèbre celui d’un torrent, le Pellice !

(Sources et ouvrages consultés :  La Glorieuse Rentrée, toute l’histoire des Vaudois du Piémont éd. Musée du Léman, Nyon 1989 – La Glorieuse Rentrée des Vaudois du Piémont, histoire d’un peuple héroïque ouvrage collectif éd. Cabédita Morges 1989 – Passé Simple revue no 29, 2017 – Musée virtuel du protestantisme)

Pont de Carouge, 1227 Carouge

En image

A découvrir également

Neydens
Plainpalais et Jonction
Cartigny
Place de Neuve
CICR
Conseil œcuménique des églises (COE)
Place du Molard

Liens

Bibliographie

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