Plainpalais et Jonction

Des armoiries parlantes pour un quartier né de la conquête de l’Arve

Une vaste plaine marécageuse, tel est le spectacle qui, à la fin du XVIIème siècle s’offre aux huguenots approchant de Genève probablement par le Bois de la Bâtie !

En effet, bien avant leur arrivée, on essaie déjà de contenir l’Arve pour utiliser les terres de Plainpalais/Jonction, mais ses crues sont parfois si abondantes qu’alors les flots emportent pont et maisons alentour, inondant les terres en direction de Genève.

Pour passer sur l’autre rive, un pont en bois existe un peu plus en amont, mais il est plus vraisemblable que les huguenots utilisent les bacs, comme on en voit souvent sur les gravures anciennes.

C’est avec leur arrivée que la conquête de la fougueuse rivière se concrétise et permet bientôt l’avènement de ce que l’on nommera alors le « Jardin de Genève ». 

En effet, parmi eux, il y a de nombreux cultivateurs venant souvent du midi de la France. Les autorités de l’époque, soucieuses de leur créer des possibilités de travail, mettent alors à leur disposition les terrains sablonneux, formés d’alluvions, de la région de Plainpalais, dont l’étymologie découle de « plaine marécageuse ». Une fois les eaux de l’Arve maîtrisées et les terres fertilisées, les cultures maraîchères connaissent un développement inattendu notamment du côté de la Jonction, là où la rivière rejoint le Rhône. Les réfugiés, surnommés plantaporrêts (planteurs de poireaux) font découvrir aux habitants des légumes alors inconnus à Genève comme le cardon, qui deviendra par la suite une spécialité genevoise labellisée cardon épineux de Plainpalais ou l’artichaut violet.

Notons que dès le début du XVIIIème siècle apparaît une confrérie des plantaporrêts ; ses membres, habillés de tabliers blancs et portant gibus, organisent de grandes fêtes annuelles avec exercices de tir et bals.

Quelques autres réfugiés se fixent plus en amont de la rivière et gagnent leur vie en lavant les alluvions aurifères pour en retirer des paillettes d’or qu’ils revendent.

« Nous cultivons les champs que nous saurons défendre » telle est la devise des armoiries de Plainpalais qui illustrent ce passé paysan et militaire : deux rivières, une bêche et une roue de puiserande, et une arquebuse.

La région de Plainpalais/Jonction demeurera pour longtemps encore un faubourg de Genève, surtout rural, constitué en commune jusqu’en 1930, date à laquelle il sera rattaché à la ville de Genève.

Développement historique

La lente urbanisation de Plainpalais

Alors que les cultures se développent dans le quartier de la Jonction, Plainpalais reste un grand terrain vague notamment en direction de Genève.

On doit la lente renaissance de ce dernier notamment au duc de Rohan (1574-1638), chef des Huguenots français (voir Cathédrale Saint-Pierre), qui lors d’un séjour à Genève peu avant sa mort, propose de faire de la Plaine une promenade entourée d’arbres et aménagée pour le jeu du mail (précurseur du golf) à la mode à cette époque.

C’est alors que la Plaine devient le cœur vivant de Plainpalais, avec ses parties de mail, ses exercices militaires et ses foires et qu’elle prend officiellement le nom de Plaine de Plainpalais.

Toutefois, jusqu’au XIXe siècle, Plainpalais ne compte qu’une rue principale, la rue de Carouge; non pavée, elle n’est bordée que de petites maisons souvent entourées de jardins.

Avec le temps, le quartier se développe et s’urbanise peu à peu. On y ouvre d’abord de petits commerces, une école, puis des services publics, tel l’hôpital Gourgas* et même plus tard un bâtiment universitaire : la première Ecole de Médecine (voir Université).

A l’aube du XXème siècle la Plaine de Plainpalais, devient un lieu central pour les réjouissances et événements populaires : fêtes fédérales de gymnastique, concours de tir, Exposition nationale, ballon captif, Fête nationale, installation du Cirque Knie, et bien sûr grands marchés des produits de la terre.

C’est à cette même époque, qu’au faubourg de la Jonction les jardins cèdent peu à peu la place aux entreprises et émigrent dans les campagnes avoisinantes, au rythme du développement urbain et que la commune de Plainpalais est rattachée à la ville de Genève.

Néanmoins, plusieurs noms de rues du quartier témoignent aujourd’hui encore fidèlement du passé, telles la rue des Maraîchersdes Plantaporrêts (les cultivateurs de poireaux), des Jardins, de la Fermede la Puiserande (une roue qui puise l’eau grâce à un cheval), voire David Dufour, célèbre jardinier descendant des plantaporrêts, cofondateur de la Société d’Horticulture.

L’hôpital Gourgas, sis à la rue Gourgas, fait mémoire du patronyme d’une famille venue du Languedoc se réfugier à Genève et reçue à la bourgeoisie au début du XVIIIème siècle. Un de ses membres, Pierre-Henri, né à Genève un siècle plus tard, deviendra conseiller d’Etat et le restera pendant 14 ans.

Plus récemment, en juin 2017, alors que l’Eglise protestante de Genève quitte la Maison Mallet et installe son siège à la rue Gourgas une équipe se met d’emblée au travail en vue de la création de jardins urbains (potagers et d’agrément) autour du bâtiment en mémoire des anciens maraîchers huguenots (voir Maison Mallet).

Quant à la rue de l’Arquebuse elle évoque les concours de tir de la confrérie des plantaporrêts et les exercices militaires des soldats genevois.

La Plaine de Plainpalais, conçue en forme d’un vaste losange de près de 80.000 m2, est entourée d’arbres et délimitée d’un côté par l’avenue du Mail (en référence évidente au jeu du mail) et de l’autre côté partiellement par l’avenue Henri Dunant. (voir CICR). En automne 2016, l’ancien terrain vague de Plainpalais connaît soudain une notoriété européenne lorsque qu’il est choisi comme lieu de départ du camion de la Réforme qui, dans la cadre du Jubilé Luther sillonnera les grandes capitales avant d’arriver à Wittenberg (D), considérée comme le berceau de la Réforme dès 1517.

Et avec les frères Turrettini, les traces d’un autre savoir-faire

Aujourd’hui comme naguère, en descendant les sentiers du Bois de la Bâtie la vue plonge sur la région de Plainpalais/Jonction. Avec le temps, un pont est apparu et les immeubles privés et industriels se sont multipliés et ont repoussé les cultures bien plus loin de la ville…

Au milieu du XIXème siècle, deux notables genevois, les frères Auguste et William Turrettini, acquièrent la magnifique forêt de chênes du Bois de la Bâtie qui surplombe le quartier pour l’offrir à la Ville de Genève, à la condition que ce lieu reste à jamais une promenade publique.

Les ancêtres de ces deux mécènes, partis de Lucca (Italie) comme ceux des châtelains du Crest, viennent se réfugier à Genève à partir du XVIème siècle (voir Agrippa d’Aubigné).

L’industrie textile connaît alors un grand essor grâce au savoir-faire et aux capitaux que la plupart des familles lucquoises investissent dans les manufactures de soieries connues sous le nom de Grande Boutique. Ses dirigeants engagent une nombreuse main d’œuvre et instaurent de multiples transactions avec l’étranger, tant pour l’achat des matières premières que pour la vente des produits finis alors très recherchés, en raison de leur grande qualité.

(Sources et ouvrages consultés : Archives de la ville de Genève – Archives du Musée du Vieux-Plainpalais – Dictionnaire historique de la Suisse)

Plaine de Plainpalais, 1204 Genève

En image

A découvrir également

Cathédrale Saint-­Pierre
Université
Maison Mallet
CICR
Agrippa d’Aubigné

Liens

Bibliographie

  • Berlie, Gérald, Plainpalais Plaine de mémoire, Cabedita, 2006
  • Bertrand, Pierre, Plainpalais, son passé, son avenir, Genève, 1943
  • Dumonthay, Joseph, Jornod, L., Genève maraîchère au cours des siècles, Anières, 1973
  • Mottu-Weber, Liliane, Economie et Refuge au siècle de la Réforme : la draperie et la soierie (1540-1630), Société d’histoire et d’archéologie de Genève, 1987

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