
Le quartier de Saint-Gervais : accueillant et industrieux
Des fouilles archéologiques ont permis de constater que la colline de Saint-Gervais est occupée dès 4’000 avant J.-C. par des populations néolithiques. Un lieu de culte y est installé au Ier siècle av. J.-C. là où se trouve encore actuellement le temple de Saint-Gervais.
Le premier édifice chrétien est construit au IVe siècle, à la suite d’un incendie qui mène à une restructuration du bourg sis sur la rive droite du Rhône. Au XIe et XIIe siècles le temple est le cœur de la paroisse qui comprend le bourg de Saint-Gervais bien sûr, mais qui englobe également les rues actuelles de la Confédération jusqu’à la place de la Fusterie, de la Cité et de la Corraterie. L’église paléochrétienne, à l’exception de sa crypte, est entièrement reconstruite durant le XVe siècle et reçoit alors un riche décor peint et sculpté dont subsistent d’importants vestiges. Le bâtiment de style gothique sera par la suite transformé à deux reprises : en 1547 pour que l’église devenue temple soit adaptée aux principes de la liturgie protestante, puis au début du XXe siècle, quand il retrouvera son aspect médiéval.
Le bourg de Saint-Gervais est, jusqu’au XIIIe siècle, une entité indépendante de la cité de Genève. Il lui est rattaché au XIIIe siècle, alors que l’évêque y possédait déjà des domaines agricoles. Profitant du développement de Genève, la rue de Coutance est créée en 1428. Le quartier est définitivement incorporé à Genève en 1526 et inclus dans l’enceinte des remparts qui sont construits à cette époque. Situé de l’autre côté du Rhône le quartier conserve cependant une identité propre et un caractère campagnard. Une gravure de 1548 le désigne par le nom de Petite Genève.
La Réforme à Genève bouleverse non seulement la vie religieuse mais modifie profondément l’économie. La ville est désormais gouvernée par une bourgeoisie marchande active et attachée à ses privilèges et libertés. Des vagues successives de réfugiés pour cause de religion arrivent durant les XVIe et XVIIe siècles. Certains de ces réfugiés s’installent définitivement dans la ville ou alors repartent après un séjour plus ou moins long. Durant cette période, l’évolution de l’histoire artisanale, manufacturière et commerciale de la ville est indissociable de l’arrivée de ces nouveaux venus. Mais plus que leur nombre, c’est la qualité et les compétences professionnelles des arrivants qui influence la vie économique de la cité et entraîne une densification progressive du quartier de Saint-Gervais. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Gervais devient un important centre artisanal où les cabinotiers exercent jusqu’à quarante-six professions liées à la Fabrique.
Développement historique
L’orfèvrerie, l’horlogerie et La Fabrique
La première mention de l’orfèvrerie genevoise Genève date de 1290, et le centre de cet artisanat est alors installé à l’actuelle rue de la Croix-d’Or. Les orfèvres se fournissent en matières premières aussi bien à l’étranger qu’auprès des orpailleurs de l’Arve et du Rhône. L’évêque impose dès 1424, un poinçon de titre sur les ouvrages de métal précieux de façon à certifier leur origine. Cet artisanat genevois déjà très réputé au Moyen-Age, voit sa notoriété grandir encore au XVe siècle, à l’époque des foires de Genève. Il vit principalement des commandes de la Cour de l’évêque et de la noblesse savoyarde.
En 1535, la suspension de la messe entraîne une forte diminution des commandes de matériel liturgique comme les croix, calices, coupes et chandeliers. Jean Calvin bannit dès 1541 les signes de richesse, et contraint ainsi les orfèvres et autres joailliers à se tourner vers l’horlogerie, ainsi que vers le travail de la boîte de montre, dont les créations sont moins ostentatoires.
Dans le même temps, des orfèvres, graveurs et joailliers, ainsi que des horlogers, arrivent à Genève pour fuir les persécutions religieuses des pays environnants. Les savoir-faire horlogers pénètrent à Genève au XVIe siècle par le biais des réfugiés huguenots qui s’établissent dans la ville, souvent dans le quartier de Saint-Gervais. Les arrivées augmenteront encore au XVIIe siècle pendant le deuxième Refuge.
Entre 1550 et 1564 apparaissent des réglementations concernant les vêtements et le port de bijoux, puis le luxe d’une manière générale. Peu après, la maîtrise des orfèvres interdit à ses membres de « faire [ni vendre] croix, calices ou autres instruments servant à la papauté et idolâtrie ». Si elles entravent l’essor des beaux-arts, ces lois somptuaires favorisent en même temps celui de l’horlogerie et des arts décoratifs qui lui sont désormais liés : Genève devient alors la capitale, productive et inventive, d’arts parfois austères mais raffinés et minutieux. L’amour du travail bien fait, la justesse du coup d’oeil, la qualité du dessin s’expriment dans les professions d’orfèvres monteurs de boîtes ou d’horlogers, encouragées comme autant d’industries utiles.
Les mondes de l’orfèvrerie et de l’horlogerie ressemblent à un vaste réseau d’associations et de compagnies reliant à la fois les grands marchands joailliers, les petits patrons orfèvres et les maîtres horlogers auxquels s’ajoutent encore les apprentis et les compagnons.
Au fil du XVIIe siècle, les montres, mouvements et boîtiers deviennent plus compliqués et plus luxueux. La division du travail s’accentue et les artisans commencent alors à produire un seul type de pièce : aiguilles, ressorts, chaînettes, etc. Ce qu’on appellera La Fabrique prend alors peu à peu la forme qui fera sa réputation – et celle de Genève – dans toute l’Europe : Les cabinotiers travaillent dans de petits ateliers et sous une stricte division du travail ; les différents arts se développent et connaissent des bonheurs divers et temporellement distincts. La ville entière sert alors d’atelier, les cabinotiers répondant à la demande des « marchands établisseurs », véritables moteurs des comptoirs de La Fabrique qui fournissent l’argent et les matières premières nécessaires aux artisans. Appelés à voyager, ils véhiculent également les goûts de la future clientèle, généralement située à l’étranger. Ce modèle genevois fonctionne principalement grâce à l’exportation.
Selon un annuaire de 1828 : sur 377 patrons cabinotiers, 225 sont installés à Saint-Gervais et 152 sur la rive gauche.
Simon Goulart, pasteur de Saint-Gervais
Simon Goulart nait en 1543 à Senlis, en Picardie, et meurt à Genève en 1628.
Il adhère aux idées de la Réforme à Paris et, à la suite de sa conversion, quitte la France en 1566 pour se réfugier à Genève. On sait peu de choses de la jeunesse de Goulart, mais dans son éloge funèbre il a été dit : « Doué par la nature d’une intelligence vive et d’un corps qui supportait les plus grandes fatigues, après s’être donné à l’étude des bonnes disciplines en commençant par les éléments de la jurisprudence, par la grâce de Dieu il fut éclairé dans la fleur de sa jeunesse par la connaissance de l’Evangile, et s’appliqua avec ardeur à la lecture des Saintes Ecritures et à la recherche de la vérité qui est selon la piété. »
A Genève, Goulart est très vite consacré pasteur et nommé à la paroisse de Chancy/Cartigny où il s’installe en 1566. Pendant quatre ans et pour un maigre salaire, il y apprend son nouveau et difficile métier : La paroisse est double, et une quinzaine de hameaux en dépendent.
En juin 1570, Simon Goulart épouse au temple de la Madeleine Suzanne Picot, fille d’un membre du Conseil des Deux-Cents ; c’est Théodore de Bèze qui bénit le mariage. En 1571, Goulart est rappelé en ville pour apporter son soutien aux ministres de Genève pendant une épidémie de peste. Il devient alors pasteur à la paroisse de Saint-Gervais. Désormais pasteur en ville et allié à une famille genevoise, il obtient gratuitement la bourgeoisie genevoise en novembre 1571.
Le père de Goulart meurt en 1572 et son frère le sollicite pour mettre en ordre les affaires familiales. La Compagnie des pasteurs lui accorde alors un congé d’un mois, mais de mauvaise grâce, car la peste sévit toujours. Parti de Genève le 1er août, le voyage de Goulart va durer plus longtemps que prévu : les événements dramatiques de la Saint-Barthélemy débutent dans la nuit du 23 au 24 août et au matin Goulart fait route avec un ami de Senlis vers Paris. Peu avant d’atteindre la ville, ils sont avertis de ce qui s’y passe, font demi-tour et informent leurs coreligionnaires de Senlis. Ils partent immédiatement pour rentrer à Genève par des chemins détournés : Sedan, Strasbourg, l’Allemagne, et enfin Genève. Ce détour retarde Goulart de deux semaines mais la Compagnie des pasteurs ne lui fait aucun reproche, vu les circonstances.
Simon Goulart est pasteur mais c’est aussi un des écrivains « polygraphes » les plus féconds de son époque. Traducteur de Plutarque, éditeur de Montaigne, adaptateur des chansons d’Orlande de Lassus, commentateur de Du Bartas, auteur d’«histoires extraordinaires», poète lyrique et satirique voire dramaturge, Goulart est un « touche à tout » représentatif de son époque. Au carrefour de plusieurs disciplines, comme philosophie, théologie, morale, musique, astrologie, démonologie et alchimie, son oeuvre encyclopédique résume les préoccupations de la Renaissance tardive et oriente le calvinisme vers une sensibilité moins austère et plus humaniste. Successeur de Calvin et de Bèze à la tête de la Compagnie des Pasteurs Simon Goulart s’engage aussi dans l’action politique de son temps comme historien des guerres de religion.
Rue des Terreaux-du-temple 12, 1201 Genève
En image
A découvrir également
Liens
- Espace Saint-Gervais (Eglise protestante de Genève) – pages sur le Temple
- Fédération de l’industrie horlogère suisse FH, Dictionnaire de l’horlogerie, article La Fabrique
- Office fédéral de la culture OFC, liste des Traditions vivantes, fiche La Fabrique
- Pozzy, Gian, Genève, une immense fabrique de montres, 2009
Bibliographie
- Jones, Leonard Chester, Simon Goulart, 1543-1628, Genève, 1917.
- Piuz, Anne-Marie, Mottu-Weber, Liliane et al., L’économie genevoise, de la Réforme à la fin de l’Ancien Régime. Genève, 1990.
- Simon Goulart. Un pasteur aux intérêts vastes comme le monde, études réunies par Olivier Pot, Genève, 2013.
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